De
l'art du silence...
pour
apprécier les sons et relancer la créativité .
Henri
Heuzé – juin 2013
Résumé
Lorsque
nous tournons le bouton du poste de radio ou de télévision, nous
avons l'impression de souvent, si ce n'est toujours, voir et entendre
la même chose. Lorsque nous « surfons » sur le Net, nous
pouvons ressentir l'impression de tourner en boucle sur les mêmes
œuvres.
Les
reprises des anciens succès musicaux et cinématographiques sont
légions et nombreux sommes nous à nous réfugier dans nos passés
plus ou moins récents. Cela a pour conséquence d'annihiler nos
capacités de réflexion, de travail et de création.
Nous
prétendons, que cela à voir avec notre rapport au son et aux moyens
modernes de reproduction et de diffusion qui habitent nos maisons,
nos villes et nos voitures et nous proposons une méthode appelant à
la responsabilité individuelle qui pourrait changer notre paysage
audiovisuel et nous redonner voix au chapître.
Haut
parleur et ouïe
Les
inventions du haut-parleur et des moyens de reproduction sonore
mécaniques, puis électroniques, ont transformé notre rapport à la
musique en particulier et aux sons général.
Après
un demi-siècle de mises au point, ces outils ont largement été
utilisés comme outils de propagande politique dès la
démocratisation de la TSF
dans les années 1930, ils ont, après la seconde guerre mondiale
fait l'objet de perfectionnements et de déploiements massifs pour
porter au plus près de nos oreilles, la voix, la musique et les sons
en tout genre.
Le
haut-parleur en particulier s'est fondu dans notre environnement et
la plupart du temps bien dissimulé : cachez donc cette membrane
que je ne saurai voir.
Lorsqu'il
fonctionne, le haut-parleur sollicite l'ouïe, ce sens en
fonctionnement permanent même durant le sommeil. L'oreille sert non
seulement à entendre, mais également à se repérer dans l'espace,
à garder l'équilibre et alerter l'organisme de tout danger.
Le
bruit
La
multiplication des haut-parleurs et des contenus audio induisent que
notre ouïe est constamment stimulée par des variations de pression
de l'air si nous n'y prêtons pas attention. Au delà de la fatigue
physique de l'oreille, laquelle peut se traduire par le phénomène
des acouphènes, notre mémoire auditive se charge de tout ces
stimuli et les conserve. Le système d'alerte associé à l'oreille
s'émousse également. Nous passons sur les méfaits de l'écoute à
haut volume qui détruit irrémédiablement les cils nerveux qui
recouvrent la cochlée,
constituant principal de notre oreille interne.
Cette
accumulation forme un bruit permanent handicapant principalement
notre capacité à réagir en cas de danger, à mémoriser, à
classer les sons en temps normal.
Nos
capacités de création se trouvent en général annihilées, car
notre cerveau n'a plus le désir de l'écoute, encore moins celui de
la création.
Telle
est la conséquence du bruit permanent : grosse fatigue.
L’assèchement
de la création et le feed-back culturel
A
l'échelle d'une société, c'est la création culturelle qui se
trouve impactée.
De plus,
comme notre société dispose désormais de la technologie pour
reproduire les sons, les producteurs et réalisateurs n'hésitent pas
à en user et abuser pour remplir les grilles de programme car le
coût de la création devient prohibitif par rapport à celui de la
reproduction ou de la reprise.
Ainsi,
les reprises, les remakes, reboots et adaptations constituent une
part de plus en plus importante de la production artistique au
détriment des créations originales.
Il
s'installe alors ce que j'appelle un effet de réinjection
(feed-back) culturelle qui occupe tout l'espace social disponible :
un véritable effet Larsen.
En
sonorisation, lorsque ce phénomène survient, le sonorisateur
s'ingénie à le supprimer en déplaçant le récepteur, en général
un micro, de manière à ce qu'il ne soit plus dans le champ de
diffusion du haut-parleur, ou en amputant par filtrage le signal de
la fréquence d'accrochage.
L'incapacité
du modèle à se réformer
Dans
le domaine culturel, aucun filtrage, aucune remise en place : le
modèle social ne le permet pas. Ce serait dispendieux et suspecté
de censure. Alors les média s'emballent : les chaînes de
télévision et de radio s'accumulent pour accompagner l'augmentation
quantitative des productions, alors que les auditeurs et les
téléspectateurs insatisfaits zappent de contenu en contenu tels des
«rois Arthur » en quête du Graal de la satisfaction
culturelle.
Or,
chacun de nous a le moyen de changer cela en adoptant un comportement
différent vis à vis des sons.
Ce
processus va nous permettre de reprendre le contrôle de notre
oreille, avec la conséquence que cela aura sur nos dynamisme,
équilibre et créativité à titre personnel et sur notre culture au
niveau social.
Le
silence, début d'une restauration
Comme
toute restauration, il faut commencer humblement, mais avec
détermination. Il s'agit d'installer le silence récupérateur dans
nos vies. Concrètement, cela revient à ne par allumer radio,
télévision ou lecteur MP3 pour remplir le vide sonore apparent.
Cela peut se faire progressivement car au début le silence peut être
générateur d'angoisse : nous nous entendons nous même. Il
nous faut réapprendre à écouter notre voix intérieure, à goûter
ce silence qui n'a pas de langage et à l'apprivoiser.
Laisser
naître le désir de l'écoute
Une
fois cette période de sevrage passée, il est bon d'écouter les
bruits environnants : la ville, les transports, les gens, les
animaux, le vent dans les arbres, etc.
Chaque
bruit peut être contemplé pour ce qu'il est : un objet sonore
porté par les variations de pression de l'air à notre conscience
par le truchement complexe de l'ouïe.
Cette
phase est délicate, car il s'agit d'apprendre à se contenter de peu
et la tentation est grande de remplir à nouveau l'espace disponible
ainsi créé avec tout ce que nous pouvons mettre à disposition de
notre oreille.
Estimer
l'exceptionnelle dignité de chaque son
Mais
ces bruits deviendront peu à peu familiers, comme des compagnons de
notre quotidien qui parlent de notre environnement. Ces bruits ne
sont pas nocifs car ils sont contextualisés et à moins d'être
excessivement permanents, tel l'autoroute, ou puissant, tel
l'aéroport, ils font partie de la vie.
Notre
vie sonore devient alors un théâtre sur lequel les voix de nos
congénères, les musiques et les sons inouïs ou inhabituels
viennent nous dire quelque chose.
Nous
apprenons alors à goûter l'exceptionnelle dignité de chaque son.
Notre culture sonore et musicale renaît par cette simple mais
exigeante ascèse acoustique.
L'humain
comme auditeur et acteur de son art sonore
Ainsi,
d'auditeur abruti, incapable de se soustraire à sa dose de bruits et
de juguler la réinjection culturelle, l'être humain devient un
auditeur libre, exigeant et curieux.
Il
peut ainsi découvrir l'importance du rythme dans la parole, la
surprenante complexité du chant des oiseaux, la personnalité des
moteurs automobiles, la suavité du bruissement des feuilles, etc.
L'auditeur
restauré devient le sonorisateur de sa vie : lors de la
survenance d'un larsen, s'il se déplace, il en supprime la cause et
redécouvre le plaisir de l'écoute.
Dès
quelques milliers d'auditeurs, la loi des grands nombres faisant son
œuvre, cela a un impact direct sur les statistiques de consommation
et induit un révision des grilles de programmation. Une crise
s'installe et induit mécaniquement la réduction du bruit et le taux
de réinjection culturelle.
Dans
le même temps, parmi les auditeurs « restaurés », outre
la satisfaction personnelle d'avoir repris le contrôle de leur
environnement sonore, certains voient leur créativité les
chatouiller et créent de nouveau. Un rapport à la création
artistique réapparaît, fondé sur la contemplation et le désir de
communiquer.
Pour
aller plus loin :
Quelques usages des haut-parleurs et
leurs conséquences :
Propagande :
Publicité :
Abrutissement :
Quelques
exemples de réinjection culturelle :
A la télévision :
"Les enfants de la télé"
"Touche pas à mon poste"
Les émissions du type « les 100
meilleurs »
Les émissions du type « The
Voice », « Star Acacemy », « Nouvelle Star »
A la radio :
Les rediffusions en boucle des
« tubes » depuis 50 ans
Les reprises et réadaptations :
France Gall par Jennifer, Génération Goldman, etc...
Au cinéma :
Bibliographie :
Attali
Jacques, Bruits,, 1977, PUF/Fayard
Orwell
Georges, 1984, 1972,
Gallimard
Rossi
Mario, Électroacoustique,
1986, Dunod
Schaeffer
Pierre,Traité des objets musicaux, 1966, Seuil
Schaeffer
Pierre, La musique concrète,
1967, PUF/Que Sais-je
Webographie :